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Intelligence artificielle dans le secteur public de la santé

L’intelligence artificielle dans le secteur public de la santé

Aujourd’hui nous allons à la rencontre de Matthieu Guyot, directeur d’hôpital détaché et expert RH au sein de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap). Il nous partage sa vision des enjeux de l’intelligence artificielle dans le secteur public de la santé.

Les IA au service de la santé 

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Votre parcours en quelques mots ?

 

J’ai suivi le Master Administration publique de Sciences po Toulouse, puis j’ai passé le concours de directeur d’hôpital et intégré l’EHESP pendant deux ans. J’ai ensuite exercé des postes de directeur des ressources humaines au sein du centre hospitalier de Saint-Amand-Montrond, puis de Mayotte. Pour compléter mon parcours, j’ai suivi un master sur l’innovation à HEC Paris. 

 

J’ai récemment rejoint l’Anap en tant qu’expert des ressources humaines. L’Anap est une agence publique d’expertise et de conseil au service des établissements de santé et médico-sociaux. Nous intervenons sur trois axes: la production de contenus sur les enjeux de performance (publications, webinaires, autodiagnostics), la mise en réseau des professionnels et l’accompagnement des établissements sur le terrain dans leurs projets de transformation. L’Anap fédère par ailleurs un réseau de 500  professionnels de terrain qui s’engagent à ses côtés.

 

Les causes qui vous tiennent à cœur ?

 

Ce qui me motive dans mon travail d’expert RH, c’est l’amélioration du cadre de travail des professionnels. Les conditions de travail sont un fort levier de motivation et de sens pour les personnels soignant, technique et administratif. Nous devons leur fournir les meilleures conditions de travail possible pour qu’ils puissent œuvrer au service des patients et de leur famille. 

 

Les conditions de travail sont un fort levier de motivation et de sens pour les personnels soignant et administratif. 

 

De plus, j’ai toujours été intéressé par les projets d’innovation et par les nouvelles technologies. Les nouvelles méthodes d’organisation (basées sur le design thinking et le design hospitalier par exemple) et les intelligences artificielles (IA) me passionnent. 

 

Pourquoi utiliser les IA dans le secteur public de la santé ?

Aujourd’hui, les professionnels sont souvent derrière un écran. Par exemple, les personnels soignants passent un temps considérable sur des tâches logistiques et/ou administratives, parfois jusqu’à 50% dans certains établissements. Ces tâches sont souvent réalisées sur ordinateur. Les managers consacrent 50 à 80% de leur temps à la mise à jour des plannings. C’est considérable et cela engendre une perte de sens au travail. J’ai l’espoir que l’IA remplace toutes ces tâches à faible valeur ajoutée afin que les professionnels puissent se consacrer à leur cœur de métier. Les médecins et les soignants souhaitent et doivent avant tout soigner et non réaliser des tâches administratives, logistiques sur leur ordinateur, tablette ou téléphone.

Les managers consacrent 50 à 80% de leur temps à la mise à jour des plannings.

Concernant le parcours de soin, les IA sont des outils d’aide aux diagnostics d’une grande précision. Elles participent à la fois à l’amélioration de la qualité des soins, à la réduction des erreurs médicales et à l’amélioration de la qualité de vie au travail.

 

Quelle est la place des IA dans le service public de la santé ?

 

L’IA analytique, c’est-à-dire l’analyse et le traitement des données, s’est fortement développée ces 10 dernières années. C’est assez commun qu’il y ait au moins un projet d’IA dans chaque établissement aujourd’hui. On l’utilise beaucoup en radiologie pour détecter automatiquement une fracture, ainsi qu’en pharmacie pour s’assurer de la compatibilité des médicaments prescrits. En dehors des établissements, les IA sont également utilisées pour la production de nouveaux médicaments par exemple. Étant donné que se développent des résistances aux antibiotiques, il s’agit d’un enjeu particulièrement important pour la santé publique.

 

Concernant le volet administratif, dont les volets RH et gestion, nous sommes beaucoup plus en retard. La mouvance n’est arrivée que tardivement, à partir de  2023 avec la popularisation des IA génératives comme ChatGPT. De mon point de vue, le potentiel de l’IA le plus important sur ce secteur se situe sur la gestion des plannings automatiques (voici des exemples d’outils). Nous pourrions par exemple imaginer une IA qui propose automatiquement au manager des changements sur le planning en cas d’absence d’un employé. Le responsable vient alors valider ou refuser ce changement. A l’Anap, nous travaillons précisément sur ces sujets pour accompagner les professionnels dans leur usage de l’IA.

 

Un exemple inspirant ?

 

Je pense à un système d’oreille augmentée. Il s’agit d’un système d’appel malade qui, en plus d’appeler l’infirmier.ière, lui détaille le problème rencontré grâce à une identification des sons. Ce qui peut être très utile, par exemple, en cas de chute dans les EHPAD. Pour une démonstration, je vous conseille cette vidéo.

Les défis des IA dans le secteur public de la santé ? 

 

En premier lieu, les IA doivent respecter les réglementations européennes dans un but de protection des données personnelles que sont le RGPD et le nouveau “IA act”. En particulier dans un contexte d’évolution aussi rapide. Ensuite, des questions éthiques se posent. Bien que pointues, les IA peuvent commettre des erreurs, transmettre une information biaisée ou encore entraîner une erreur d’interprétation de la part de l’humain. Enfin, plus la taille d’une structure est grande, plus il est complexe d’organiser et d’implémenter un changement de cette ampleur, passant souvent par une phase d’expérimentation. Un CHU n’est pas une start up ! Dans les établissements de grande taille, cela représente un challenge supplémentaire.

 

Bien que pointues, les IA peuvent commettre des erreurs.

 

Face à ces défis, le service public au sens large a une responsabilité et un devoir d’exemplarité. C’est pourquoi, j’ai rejoint le groupe de travail de l’association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (AFNH). Nous préparons une formation de sensibilisation aux challenges et gains des IA. 

 

Quelles sont les autres innovations du secteur public de la santé ?

 

J’observe beaucoup de changements concrets et de bonnes pratiques qui améliorent le quotidien à l’échelle d’un service ou d’une direction. A l’image de la création d’une agence territoriale de recrutement par le Centre hospitalier de Mayotte que j’avais supervisée (à découvrir en vidéo ici). 

 

En ce sens, nous avons développé à l’ANAP une production intitulée “nos équipes ont du talent”. L’objectif est, grâce aux outils de l’innovation collaborative, de permettre aux professionnels de s’exprimer et mieux prendre en compte leur point de vue dans la gestion de projet et le développement d’outils.

 

Quels sont les métiers de demain du secteur public de la santé ?

 

Dans le champ des nouvelles technologies, de nouveaux métiers existent d’ores-et-déjà à l’international, bien qu’ils soient encore peu répandus. Il s’agit, par exemple, des gestionnaires d’hôpital virtuel, des thérapeutes par réalité virtuelle, des techniciens impressions 3D, des ingénieurs nano-médicaux. Ou encore de tous les métiers de la donnée ou de l’IA (data analysts, architectes en données de santé, ingénieurs en IA, responsables de plateforme numérique).

 

Hors IA, les métiers de logistique, de développement durable et de designer prendront de plus en plus de place à l’hôpital. 

 

Au-delà de cette dynamique, nous observons de nombreuses évolutions. Tout d’abord, pour libérer les soignants des tâches logistiques, le métier de logisticien d’étage (voir notre production ici) devrait reprendre de l’ampleur ces prochaines années. De plus, les métiers liés au développement durable se développent. Les établissements de santé et médico-sociaux ont une empreinte environnementale très forte. Il s’agit, par exemple, de réduire la consommation d’électricité, d’eau ou d’améliorer la gestion des déchets infectieux. Enfin, des métiers plus créatifs prennent de plus en plus de place, à l’image du métier de designer hospitalier, dans le but de repenser les espaces et améliorer l’expérience du patient.

 

L’Anap sortira prochainement une production sur les métiers de demain.

 

Une référence à conseiller ?

Je conseille à toute personne intéressée par les IA de consulter la plateforme des solutions d’IA de l’ANAP. Il s’agit d’un outil qui recense toutes les IA déployées au sein d’établissements de santé et médico-sociaux. Beaucoup de projets peuvent concerner des établissements en dehors de l’hôpital.