Dans le cadre de notre étude sur la semaine de 4 jours et ses variantes dans le service public, nous sommes allés à la rencontre des employeurs qui ont osé expérimenter de nouveaux aménagements du temps de travail dans leurs institutions.
Lóa Birna Birgisdóttir, Directrice des Ressources humaines, nous parle de la mise en place de la semaine de 4 jours 1/2 au sein de la Ville de Reykjavik en Islande.
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L’expérimentation visait à analyser les impacts d’une semaine réduite sur le stress, la satisfaction au travail et l’absentéisme.
En 2014, la Ville de Reykjavik a mis en place un comité de pilotage chargé de la mise en œuvre de l’expérimentation de la semaine de 4 jours 1/2 dans le secteur public. Cette expérimentation avait pour objectif d’analyser les impacts d’une semaine de travail réduite sur le stress des agents, leur qualité de vie au travail et l’absentéisme. Deux services ont ainsi été sélectionnés en raison du stress élevé ressenti par les employés au travail. Au vu des signaux positifs de cette première expérimentation, nous l’avons élargi à d’autres services afin de comparer les résultats sur différents secteurs de métiers. Depuis 2021, nous l’avons généralisé à l’ensemble des agents de la Ville de Reykjavik.
L’expérimentation de la semaine de 4 jours 1/2 a été mise en œuvre en deux phases, entre 2015 et 2019, avant sa généralisation à l’ensemble des agents publics de la Ville de Reykjavik.
La première phase, de 2015 à 2018, impliquait 25 agents du service municipal d’Árbær et Grafarholt et 40 agents du service chargé de la protection des enfants. Dès 2016, l’expérimentation a été élargie à 55 agents chargés du services à domicile et de la garde d’enfants, 30 agents d’école primaire et 3 équipes du service voirie et bâtiments. Les horaires ont été réduits de 40h à 36h ou 35h hebdomadaires.
La deuxième phase, de 2018 à 2019, a été élargie à 100 organisations (publiques et privées) dans le but de comparer les résultats par secteur métier. L’approche était cette fois-ci différente: les horaires n’ont été réduits que d’1 à 3 heures par semaine.
En plus des groupes sélectionnés pour ces deux phases, nous avons suivi un groupe témoin pour comparer les résultats.
En 2019, l’expérimentation a pris fin et les employés ont retrouvé leurs anciens horaires de travail. En 2020, les organisations syndicales ont négocié l’intégration de la semaine de 4 jours 1/2 dans les conventions collectives. En 2021, la semaine de travail réduite a ainsi été élargie à environ 12 000 agents, dont 6 300 employés de jour, 1800 employés en horaires variables ou de nuit et 1600 professeurs d’écoles primaires.
En interne, le service RH était chargé de la mise en œuvre des expérimentations de la semaine de 4 jours ½. Des réunions d’informations, des formations et des groupes de travail thématiques ont été proposés afin de préparer les managers à ces nouvelles modalités d’organisation du travail. Ce travail préparatoire leur a permis de s’acculturer et de comprendre le sens de la démarche.
Certains agents redoutaient que la réduction des temps de pause affecte les liens sociaux entre collègues.
De fait, il y a eu très peu de résistance de leur part. Les premiers questionnements ont été émis par des agents qui redoutaient que la réduction des temps de pause affecte les liens sociaux entre collègues. Une fois la nouvelle organisation mise en place, nous avons finalement reçu des retours positifs.
L’organisation de la semaine de 4 jours 1⁄2 a demandé plus d’organisation pour les agents des écoles maternelles et ceux ayant des horaires variables. Dans les écoles maternelles en Islande, les cours ont lieu principalement le matin et les après-midis sont consacrés à du temps libre. Nous avons donc réduit les effectifs les après-midi pour permettre aux agents de réduire leurs heures. Concernant les agents à horaires variables, ils ont fait l’objet de plusieurs exceptions. Leur temps de travail a été réduit de 4 à 8h (en fonction de la pénibilité du poste), au lieu d’1 à 3 heures pour les autres métiers. Les organisations syndicales ont négocié une révision de leur rémunération pour que cette réduction du temps de travail n’engendre pas de baisse de salaire. Il a également été nécessaire de recruter pour assurer la continuité du service.
Depuis 2018, la semaine de 4 jours ½ revêt différentes formes. La durée hebdomadaire a d’abord été réduite de 4 ou 5 heures en phase 1. Puis d’1 à 3 heures en phase 2. Les agents ont le choix entre plusieurs formules : terminer plus tôt certains jours, travailler 4 jours ½ par semaine ou alterner une semaine de 4 puis 5 jours. Ils sont également libres de choisir la journée ou demi-journée de repos, sous réserve de l’accord du manager.
Pour réduire notre temps de travail nous avons raccourci les temps de pause et les temps à faible valeur ajoutée.
Chaque service doit respecter certaines consignes : ne pas fermer plus tôt le service, ne pas baisser les salaires et ne pas ouvrir de nouveaux recrutement (à l’exception des travailleurs à horaires variables). Seul le service de protection des enfants a pu fermer plus tôt le vendredi (à midi au lieu de 16h).
Pour réduire notre temps de travail nous avons raccourci les temps de pause et les temps à faible valeur ajoutée. Les réunions sont par exemple limitées à 30 minutes ce qui nous oblige à aller à l’essentiel. Certains services ne font plus de réunion le vendredi après-midi pour libérer plus facilement ce temps.
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Nous avons échangé avec les managers et de nombreux questionnaires ont été envoyés aux différents services par la Social Science Research Institute. L’objectif était de mesurer le niveau de satisfaction des agents, l’impact sur le taux d’absentéisme, la qualité et la productivité du service et les coûts engendrés par l’expérimentation.
J’ai le ressenti que les agents gagnent en productivité en réduisant les temps de réunion à 30 minutes.
Les résultats témoignent d’une baisse du taux d’absentéisme, d’une hausse du bien-être au travail et d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Les agents ont le temps de faire leurs courses, leurs démarches administratives et de prendre leurs rendez-vous sur la demi-journée libérée en semaine. Cela offre plus de temps de repos le weekend. La productivité est le point le plus difficile à mesurer mais j’ai le sentiment que les agents de bureau gagnent en efficacité en réduisant leurs réunions à 30 minutes.
Les résultats sont plus mitigés concernant les managers qui ont du mal à supporter la charge de travail sur 4 jours ½. Nous observons aussi certaines difficultés dans les écoles maternelles. Nous avons moins de marge de manœuvre lorsqu’un agent est absent. Il nous est arrivé de renvoyer des enfants chez eux l’après-midi par manque de personnel.
Afin de poursuivre la démarche, les organisations syndicales devront renégocier les conventions collectives en mars 2024.
Pour mener à bien ce projet, il est nécessaire d’établir un cadre défini, d’échanger en amont avec les managers et d’anticiper les outils et moyens de suivi. Réduire la durée de travail implique de repenser l’organisation du travail. A ce titre, la semaine de 4 jours ouvre des questions importantes sur l’organisation du travail dans nos institutions : comment peut-on être plus efficace ? Quelles tâches à faible valeur ajoutée peuvent être réduites ? De plus, les équipes RH doivent être attentives à la fatigue qu’engendrent 6 heures de travail journalier sans pause.
Je conseillerais de ne pas aller trop vite et de soigner la préparation de l’expérimentation. Allez-y par étape, commencez par un ou deux services puis élargissez. L’exemple suscite l’intérêt des autres agents qui deviennent assez vite volontaires pour expérimenter à leur tour ce nouveau mode d’organisation.
Pour aller plus loin sur la semaine de 4 jours ½ en Islande, le think tank Autonomy a publié un rapport (en anglais) retraçant l’expérimentation à l’échelle de la Ville de Reykjavik et du gouvernement islandais.
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Découvrez l’ensemble des retours d’expériences des institutions qui expérimentent la semaine de 4 jours dans le service public : dans notre étude.
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