Arno Amabile est Conseiller auprès de l’envoyée spéciale pour le Sommet de l’action sur l’IA au sein de la Présidence de la République. Nous sommes allés à sa rencontre pour vous faire découvrir ses missions et sa vision des enjeux liés à la transformation numérique de l’Etat.
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Formé en sciences sociales et économiques, je me suis rendu compte durant mon parcours qu’il y avait peu de ponts entre le monde des politiques publiques et celui des nouvelles technologies. Nous manquions à l’époque de spécialistes comprenant les enjeux de l’intelligence artificielle au prisme de l’action publique. Il me semblait important d’étudier et de comprendre les articulations possibles .
Il y avait peu de ponts entre le monde des politiques publiques et celui des nouvelles technologies.
Je suis donc parti aux Etats-Unis pour faire un master de data science. J’ai contribué à divers projets de machine learning pour la ville de New York. Puis, j’ai passé le concours d’ingénieur du corps de Mines. J’ai travaillé dans le développement local et industriel, participé à la transformation digitale du système judiciaire et animé le recrutement, la formation et la carrière d’un vivier d’ingénieurs au sein du Conseil général de l’Économie. En septembre dernier, j’ai rejoint un groupe de travail (commission IA) afin de formuler des recommandations pour faire de la France une grande nation de l’IA. Désormais, je m’occupe d’un Sommet sur l’intelligence artificielle qui aura lieu en février prochain.
Le service public me permet de concilier mon intérêt pour les nouvelles technologies et pour les questions de société et d’économie. Ce qui m’intéresse le plus avec le numérique, c’est la question des usages. J’aime analyser les opportunités mais aussi les effets de déstabilisation de l’action publique qui en découlent.
Il me semble que le service public ne s’est pas complètement adapté au fait qu’il n’est plus l’endroit où l’information circule rapidement. Pendant des siècles, l’Etat était le lieu où l’information prenait vie et circulait en premier. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Je pense que le réseau d’informations décentralisées actuel déstabilise beaucoup l’action publique.
Je pense que nous avons des efforts à faire pour que le numérique permette aux agents de gagner en efficacité.
Paradoxalement, nous avons construit le numérique qui permet de faire circuler beaucoup plus vite l’information mais pas encore celui qui permet de l’utiliser de façon plus productive. De fait, les usagers ont le sentiment que les services publics sont moins performants que ceux du privé. Ce constat a également un impact sur les agents publics. Je pense que nous avons des efforts à faire pour que le numérique permette aux agents de gagner en efficacité.
Je découvre au fur et à mesure de mon parcours que j’aime beaucoup l’opérationnel. L’idée de faire fonctionner une machine ou une organisation est quelque chose que je trouve profondément satisfaisant et stimulant intellectuellement. Je ressens un grand plaisir à économiser du temps de travail pour moi et pour les autres. Quelles que soient les thématiques (justice, aide aux entreprises…), le service public dans sa conception la plus noble doit porter cette notion d’efficacité et de productivité dans son ADN.
D’un point de vue intellectuel, je suis assez fier du rapport de la commission IA. Ce travail a été réalisé par des experts de grandes qualités qui n’étaient pas tous d’accord. Je crois que j’ai été utile pour essayer de faire converger des points de vue. Je pense également à la crise du Covid durant laquelle j’ai été très impressionné par la mobilisation des agents publics. En général, dans le service public, nous n’aimons pas mesurer notre productivité. De fait, nous ne sommes pas toujours bons pour valoriser nos actions. Pendant la crise, nous avions mis en place un tableau de bord nous permettant de mesurer nos délais de réponses et de versement des aides aux entreprises. Vu l’ampleur de la situation, nos résultats étaient une belle réussite.
Une de mes précédentes missions consistait à organiser le recrutement de talents numériques et d’arriver à construire avec eux des carrières au sein du service public. De plus en plus, nous avons besoin de personnes capables de transformer leur métier avec de l’intelligence artificielle. Dans tous les secteurs, nous devons nous demander en quoi cette technologie va nous être utile. Aujourd’hui, nous avons besoin de profils qui connaissent leurs métiers (RH, communication, achat…) et qui comprennent l’IA.
Dans tous les secteurs, nous devons nous demander en quoi l’IA va nous être utile.
Dans le service public nous devons être attentifs à la qualité des données, apprendre à tenir des tableaux Excel. propres avec les mêmes unités partout… Nous devons accompagner les équipes dans ce changement de culture de travail, c’est crucial. Il y a des parcours hybrides à construire avec des personnes qui font des allers-retours entre du “métier”, de la gestion de projet numérique, du management…
Les IA génératives telles que Chat GPT permettent de traiter beaucoup mieux des données textuelles qui ne sont pas structurées. Cela impacte profondément les professions du récit : la justice, l’éducation, la santé et les RH notamment. Au-delà des décisions rendues, le sens du métier de magistrat, par exemple, consiste à recoudre la société via le processus du jugement. C’est la partie littéraire du métier car elle résulte de la manière dont est écrite la décision. De la même manière, dans l’éducation, le lien entre l’apprenant et le professeur se crée dans le dialogue. Dans les ressources humaines, une grande partie du métier consiste à vendre des postes, des carrières ou des candidats. Pour cela, il faut comprendre les besoins des agents et des employeurs. Via des notes d’entretien, par exemple, l’IA peut optimiser la publication d’annonces de recrutement et affiner les recherches de candidats. Cette approche permet de cibler plus précisément les profils adaptés, rendant le processus de recrutement plus efficace.
Nous devons réfléchir aux missions que nous ne souhaitons pas déléguer aux IA. La psychologie et le jugement humain sont essentiels dans le domaine du recrutement. L’enjeu, c’est de libérer les professionnels pour se concentrer sur ces aspects stratégiques de leur travail. A ce titre, je trouve l’intelligence artificielle particulièrement intéressante car elle nous oblige à être honnêtes sur notre plus-value.
Tous les métiers que j’ai exercés dans le service public auraient gagné à mettre en place un outil de suivi avec les bénéficiaires, qu’ils soient internes (agents) ou externes (usagers). Cette culture du service client, c’est quelque chose que l’on a pas réussi à développer et du coup, nous n’avons pas les outils pour le faire.
Tous les métiers que j’ai exercés dans le service public auraient gagné à mettre en place un outil de suivi avec les bénéficiaires, qu’ils soient agents ou usagers.
J’aime beaucoup l’outil “démarche simplifiée” une application qui permet aux agents publics de créer des démarches en quelques minutes et de gérer les demandes des usagers sur une plateforme dédiée. Pour moi, c’est une vraie réussite de transformation numérique, à la main des agents publics. Dans le numérique public, on a du mal à rendre les agents publics acteurs des transformations.
Pour observer les réflexions à l’international sur ces sujets de transformation numérique, je vous conseille les travaux de Jennifer Pahlka. Elle est fondatrice de Code for America, une structure qui anime un réseau d’experts du code pour aider les institutions publiques à développer des services numériques. Cela permet de se rendre compte que l’on se pose un peu partout les mêmes questions et que nous sommes loin d’être les plus mauvais sur les enjeux de transformation publique.