Clément Girard est directeur de la Participation Citoyenne au sein de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg. Dans cet entretien, il nous parle des enjeux liés à la vitalité et à l’innovation démocratique.
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Je suis directeur de de la Participation Citoyenne au sein de la Ville et Eurométropole de Strasbourg. Comment je suis arrivé là ? Je me pose encore parfois la question. Je ne savais pas que ce métier existait quand j’ai achevé mes études en communication politique à Sciences Po. Après un stage au sein de l’agence Bygmalion, dont je ne suis pas sorti très à l’aise sur mes aspirations et mon devenir professionnel, j’ai eu envie de faire un pas de côté et de m’engager différemment. C’est ainsi que je me suis mobilisé auprès de la candidate d’Europe Écologie Les Verts à l’élection présidentielle de 2012. Puis, j’ai continué à travailler en tant que salarié de campagnes électorales ou de collaborateur d’élus. J’ai notamment été collaborateur de cabinet de la maire de Montreuil avec la charge des dossiers liés aux innovations démocratiques et sociales du territoire.
C’est une expérience qui m’a profondément marqué et qui m’a poussé à me consacrer pleinement au développement de projets associatifs que j’avais pu découvrir dans ce bout de territoire magnifique de Seine-Saint-Denis. J’ai co-fondé deux associations à l’origine de festivals et d’espaces culturels militants, ayant particulièrement trait à la mobilisation citoyenne. C’était une période très stimulante, en dehors de tous les sentiers traditionnels. J’ai ensuite rejoint la Civic Tech D21 en tant que consultant en participation citoyenne et qui m’a amené à accompagner des collectivités en France et dans le monde dans leurs projets participatifs..
Très marqué par mon expérience à Montreuil et en cohérence avec mes envies et mes valeurs, j’ai décidé de revenir au service public en rejoignant la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg pour diriger une nouvelle direction entièrement dédiée à la Participation Citoyenne.
Au sein de la mairie de Montreuil, j’ai travaillé sur la notion d’engagement et accompagné des projets novateurs sur les sujets qui m’animent depuis toujours : participation citoyenne, politiques territoriales et systèmes de gouvernance innovants. Je pense notamment au festival écologique “La voie est libre !” pensé par les citoyens et organisé sur l’autoroute A186. Il s’agissait d’une réappropriation citoyenne et festive de l’autoroute, qui a rassemblé jusqu’à 35 000 participants sur ses dernières éditions, construite autour de trois principes: créer une programmation sur la seule base de propositions d’interventions bénévoles, interactives avec le public, ne faisant appel à aucune énergie fossile ou nucléaire. Cette expérience m’a complètement changé.
Quand je repense à tous les questionnements et les doutes que j’avais en tant que jeune professionnel, aux statuts parfois instables et à la vision abstraite de ce que je ferais dans les six prochains mois, je me dis que j’ai trouvé un vrai confort de travail et une stabilité au sein du service public. Et ce, en ayant la chance de bénéficier d’un cadre stimulant, aligné avec mes valeurs et au sein d’une collectivité qui a fait le choix de s’engager pleinement sur ces thématiques.
Souvent la participation citoyenne est cantonnée à la démocratie locale. Elle touche aussi les méthodes de fabrication et de prise de décisions en matière de politiques publiques. Au sein de notre collectivité, nous avons priorisé deux indicateurs pour évaluer nos projets : le lien à la décision et la diversité des participants. La participation citoyenne émerge aussi parce que l’on fait face à une crise de la démocratie. Notre mission, c’est d’offrir des moyens de contribuer aux politiques publiques en s’assurant que les personnes qui participent reflètent la diversité des publics qui sont concernés par celles-ci. C’est la raison pour laquelle nous déployons également de nombreux services et des formations à destination de l’ensemble des agents de la collectivité afin de nous doter d’une culture et de pratiques professionnelles communes, et que chaque direction de la collectivité participe à démocratiser la fabrique de ses politiques publiques.
En allant dans l’espace public, là où les gens sont, en favorisant “l’aller vers”, en déployant de nouvelles techniques de mobilisation les plus directes possibles. A priori, la démarche suppose aussi que notre collectivité ne soit pas sourde aux demandes des habitants et anticipent les suites à donner aux doléances, avis et opinions recueillis. Demander aux habitants ou à nos partenaires de venir nous voir au centre administratif et de comprendre nos codes, cela ne peut pas marcher. C’est à nous de produire des documents faciles à lire et à comprendre, d’adapter les horaires de présence de nos agents. A titre d’exemple, cela fait trois ans que nous déployons des gardes d’enfants systématiques lors de nos réunions publiques pour permettre aux jeunes parents de participer.
Enfin, il est essentiel de varier et les formats de participation pour diversifier les publics comme les modalités de recueil des propositions des participants à nos démarches : sans remettre en question la traditionnelle réunion publique, il s’agit de privilégier des formats plus collaboratifs que descendants, de développer des cadres de participation opérationnelle qui répondent à des objectifs précis tels que les dispositifs de budgets participatifs ou les pétitions citoyennes.
Je pense à un mode de prise de décision. J’ai été très bluffé par la méthode de prise de décision par consentement. En démocratie, c’est le principe même, nous ne sommes jamais d’accord. L’idée d’aboutir à un consensus est donc, à priori, compliquée. En revanche, prendre une décision en délibération en tenant compte de ce à quoi chacune et chacun consent et en ayant en tête leurs contraintes, leurs désirs et leurs besoins auxquels on doit aussi répondre, cela transforme complètement la manière de prendre les décisions avec l’ensemble des parties prenantes. C’est un mode de prise de décision issu de la sociocratie, peu connu et exploité en France.
Dernièrement, il y a un média qui a été lancé par l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne qui s’appelle DémocratieS. C’est une revue numérique très intéressante, qui porte une véritable dimension critique sur le métier. L’ouvrage “Pour en finir avec la démocratie participative” de Manon Loisel et Nicolas Rio est également intéressant car il explique ce qu’est la démocratique, son Histoire, ses enjeux… Avant d’en expliquer les limites. Ils travaillent à faire émerger des solutions alternatives qui, à mon sens, ne feront pas disparaître la démocratie participative loin de là mais qui recentrent les enjeux sur ce qui transformera demain les politiques publiques.