designer de politiques publiques

« L’intelligence collective est la matière première du designer de politiques publiques. »

Aujourd’hui, nous allons à la rencontre de Mathilde Lemaire, designer de services et ingénieure pédagogique. Dans cette interview, elle nous fait découvrir son métier et nous parle des sujets qui l’animent : design de service, co-conception, réinvention des systèmes éducatifs, culturels et sociaux…

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Co-construire avec celles et ceux qui font et vivent l’action publique

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Les grandes lignes de votre parcours ?

Formée en Arts Appliqués, j’ai choisi de me spécialiser en design de produit à l’École Boulle, à Paris. Très vite, mes expériences de stage m’ont ouvert d’autres perspectives : je me suis progressivement tournée vers le design de service, avec un intérêt croissant pour les politiques publiques. Cette orientation m’a conduite à partir un an aux Pays-Bas, afin d’approfondir ces enjeux dans un contexte international. À mon retour en France, j’ai rejoint l’agence Indivisible et WedoStudios, où j’ai pu travailler sur des défis sociaux, éducatifs, écologiques ou encore géopolitiques, en collaboration avec des sociologues et diverses organisations publiques et privées. J’ai ensuite posé mes valises en Italie pour deux ans, afin d’explorer les politiques culturelles territoriales au plus près du terrain. Depuis un an, je suis installée à Marseille, où j’interviens comme designer de service dans les domaines de l’Économie Sociale et Solidaire et des politiques publiques. En parallèle, je coordonne des projets éducatifs et culturels. 

Aujourd’hui, j’ai choisi de me lancer dans l’auto-entrepreneuriat pour développer mes activités en design et en facilitation, avec l’envie de continuer à accompagner les acteurs publics et les structures à impact. J’ai ainsi créé mon auto-entreprise, « Au RDV des I.D.E.E.S. », dédiée à la conception et à l’amélioration de services au service de l’intérêt général. En croisant les outils et les méthodes du design et de la pédagogie, l’agence conçoit des cadres d’apprentissage, de réflexion collective et d’expérimentation sur-mesure. Mon ambition : construire, avec et pour les acteurs du territoire, des solutions Inclusives, Didactiques, Éco-Responsables, Éthiques et Sociales, qui questionnent et réinventent nos manières de penser et d’agir.

Votre métier et le cœur de vos missions actuelles ?

Le design de politiques publiques, c’est avant tout travailler main dans la main avec les administrations pour repenser leurs services et accompagner leur transformation. Cela se traduit concrètement par une double dynamique : améliorer la gestion interne des organisations publiques, tout en rendant leurs services plus lisibles, accessibles et utiles pour les citoyennes et les citoyens. Pour y parvenir, en tant que designers, nous mobilisons des méthodes de co-conception, en impliquant directement les usagers, les agents publics et les parties prenantes. L’enjeu, c’est de créer du lien entre les métiers mais aussi entre les institutions et les habitants, souvent éloignés des enjeux qui influencent pourtant leur quotidien. Notre rôle, c’est de faire de l’intelligence collective un levier de transformation, et de remettre l’humain au cœur des politiques publiques.

Un exemple de transformation publique que vous accompagnez ?

L’un des derniers projets que j’ai mené avec l’association Quartiers Ludiques s’intitule « Tout un nouveau programme ». C’est un jeu sérieux conçu pour sensibiliser aux enjeux complexes du renouvellement urbain dans les grands ensembles, disponible dans plusieurs maisons de projet en France. Les participants y incarnent des aménageurs chargés de repenser un quartier. Leur mission : élaborer un programme de rénovation cohérent avec les besoins des habitants, tout en respectant les contraintes de calendrier et de budget fixées par l’État. Le jeu se déroule en plusieurs étapes clés : diagnostic, plan d’action, phasage, travaux, puis bilan. Ce format ludique et pédagogique permet aux habitantes et habitants de mieux comprendre les étapes d’un projet urbain, d’identifier les différents acteurs impliqués, de se familiariser avec les enjeux, les contraintes et les temporalités. Pour les agents publics, c’est aussi un outil précieux : il met en lumière les logiques métiers de chaque service mobilisé, aide à identifier les contraintes spécifiques de chacun et révèle les complémentarités possibles. En somme, un jeu qui favorise la coopération, la compréhension mutuelle… et une meilleure conception des projets collectifs.

D’autres exemples de projets ?

Je pense à un projet de médiation culturelle mené dans le cadre du marathon créatif annuel de l’association Museomix. Chaque année, cette communauté internationale organise trois jours d’expérimentation dans différents musées, avec un objectif commun : concevoir des prototypes ou des expériences interactives à tester directement avec les visiteurs. J’y participe en tant que maker, ce qui me permet de retrouver une grande liberté d’exploration et de création. C’est un moment stimulant, à la fois collectif et pluridisciplinaire, où l’on collabore avec des professionnels venus d’horizons très variés, tous animés par une même envie de rendre la culture plus accessible et participative.

Chaque année, je renouvelle l’expérience dans un musée différent. Cette année, ce sera au musée du Sport de Nice, où nous allons repenser l’expérience visiteur. Pour moi, mener un projet culturel, c’est aussi adopter une posture politique : questionner le rapport entre les institutions, les publics et les territoires. C’est en cela que ce type de projet s’inscrit pleinement dans la démarche du design d’intérêt général.

Les compétences essentielles de votre métier ?

L’adaptabilité et la curiosité. Dans ce métier, on navigue en permanence d’un projet à l’autre, d’un domaine à un autre. Chaque nouvelle mission nous plonge dans un univers inédit, avec ses publics, son vocabulaire, ses enjeux et ses contraintes spécifiques. Il faut avoir cette envie sincère de comprendre les personnes que l’on rencontre, de s’immerger dans leur réalité. Cela demande de l’empathie, bien sûr. Être capable de se mettre à la place des autres, de saisir ce qu’ils vivent, d’où ils parlent, leur histoire, leur culture, leur manière de fonctionner. C’est une posture d’écoute active, presque ethnographique. Et puis il y a la créativité, indispensable pour transformer ces observations en idées concrètes, en concepts clairs et partageables. C’est quelque part ce qui distingue le design de politiques publiques du conseil stratégique.

Une initiative ou un livre qui vous inspire ?

Le travail de l’agence de design Vraiment Vraiment reflète bien ce que représente, à mes yeux, le design de service public : inventer des pratiques professionnelles et citoyennes nouvelles qui simplifient l’action et donnent des marges de manœuvre. Dernièrement, ils ont par exemple repensé la question du salariat à travers l’instauration de congés hormonaux. Ce que je trouve inspirant, c’est quand une structure adopte cette double posture : proposer des transformations concrètes pour les administrations tout en testant leurs propres idées en interne. Expérimenter à son échelle ce que l’on propose aux autres, c’est créer une vraie cohérence entre son discours et sa pratique. 

Côté ressources, un ouvrage m’a particulièrement marquée : Imagine demain de Julien Vidal, paru en 2023. Ce livre propose une méthode pour se projeter vers un futur désirable, libéré de l’éco-anxiété, pour se mettre en mouvement. C’est un guide stimulant, à la fois prospectif et ancré, qui donne des outils concrets pour faire un voyage prospectif vers les “2030 glorieuses”. 

Un vœu pour la suite ?

Je suis partie en Italie pour concrétiser une envie profonde : explorer la possibilité de mener plusieurs projets en parallèle. À mon échelle, je souhaite être à la fois designer, artiste et m’engager auprès d’associations. En France, cet équilibre est plus difficile à trouver, et c’est ce qui m’a poussée à expérimenter ailleurs. Mon objectif est de poursuivre cette quête de pluralité, en choisissant des projets qui portent une forte valeur socio-culturelle et en m’entourant de personnes inspirantes. Je suis convaincue que l’innovation et la capacité à relever les grands défis de notre époque passent par le développement du lien et du relationnel. À l’échelle du métier, j’aimerais que l’on favorise davantage de synergies entre les organismes publics. Leurs problématiques sont souvent transversales, mais les projets et les financements restent trop cloisonnés. Pour un designer, c’est frustrant de percevoir à quel point ce manque de transversalité freine la création de solutions durables et pertinentes.