Olivier Meier est Professeur des Universités (Sciences Po Paris, UPEC, Paris Dauphine) et président de l’Observatoire ASAP, un observatoire dédié à l’impact des transformations sociales et sociétales sur l’action publique créé dans le cadre le cadre de la Chaire « Innovation Publique » en lien avec Sciences Po Paris, l’INSP et l’Ecole Polytechnique.
Certaines vocations ne naissent pas d’un déclic, mais d’un cheminement patient, guidé par l’observation et une fidélité à l’idée que l’intelligence — même artificielle — n’a de valeur qu’au service de l’humain. À la croisée de l’action publique, de la recherche et des innovations technologiques, notre interlocuteur explore un secteur en transformation, où l’IA ne se contente plus d’optimiser, mais questionne les cadres établis. Sa démarche s’ancre dans le terrain : observer, analyser, expérimenter. Plus que jamais, il s’agit d’interroger les finalités et les conditions d’usage de ces outils, au sein d’institutions traversées par des exigences d’efficacité, d’équité, de transparence et de responsabilité.
Cet entretien éclaire les tensions qui traversent aujourd’hui le service public, tout en soulignant le rôle essentiel de la rigueur et du sens de l’intérêt général dans la conduite du changement.
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Le laboratoire de recherche-action, créé avec l’Observatoire ASAP que je préside et le soutien d’écoles d’ingénieurs, explore plusieurs axes, dont l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les environnements de travail (métiers, compétences, process).
Nos travaux portent aussi sur les transformations organisationnelles, la conduite du changement et l’impact des innovations numériques sur l’action publique et les dynamiques professionnelles. Nous adoptons une approche empirique basée sur des observations de terrain, des chaires de recherche et de formation, et l’étude des transformations vécues par les professionnels. Cette démarche vise à nourrir le débat scientifique et public, encourager les échanges interdisciplinaires, et soutenir les acteurs publics dans l’évaluation et la mise en œuvre de nouvelles pratiques.
L’Observatoire ASAP valorise les résultats de ces recherches à travers publications, conférences, ateliers et formations pour contribuer à la construction de l’action publique de demain.
Mes missions sont à la croisée de la recherche, de l’enseignement et du conseil en organisation. Je pilote des projets de recherche appliquée sur l’intelligence artificielle (IA), principalement dans le secteur public, tout en enseignant à l’université sur les grandes transformations économiques, sociales et sociétales. Parallèlement, j’accompagne les institutions publiques dans la conception et l’évaluation de dispositifs innovants intégrant l’IA, afin de renforcer leur capacité d’adaptation et d’innovation.
Mon parcours s’est naturellement orienté vers l’exploration des synergies entre sciences de gestion, économie et intelligence artificielle, convaincu que seule une approche interdisciplinaire permet de répondre aux défis complexes de notre époque. C’est dans ce contexte que ma collaboration avec le Pr Kurosh Madani s’est imposée comme une évidence et un véritable accélérateur de réflexion.
Le professeur Madani, référence internationale en IA bio-inspirée, a fondé et dirigé des laboratoires d’excellence à l’UPEC, notamment le LISSI (Laboratoire Images, Signaux et Systèmes Intelligents). Son expertise pointue dans les réseaux neuronaux et les systèmes intelligents, alliée à sa capacité d’innovation, enrichit considérablement l’approche des sciences de gestion.
Notre rencontre au sein de la même université a rapidement fait émerger une complémentarité naturelle entre nos disciplines. Animés par une estime réciproque et une volonté commune de décloisonner les savoirs, nous avons décidé d’unir nos compétences pour explorer l’impact des technologies sur l’économie et la gestion. Nos travaux portent notamment sur l’autonomie des agents économiques, l’adaptation à l’incertitude et la compréhension des dynamiques émergentes dans des environnements complexes.
Cette démarche interdisciplinaire, à la croisée de l’IA et des sciences de gestion, ouvre de nouvelles perspectives pour modéliser des phénomènes économiques et sociétaux. Elle permet non seulement de décrypter les mécanismes sous-jacents aux grandes mutations actuelles, mais aussi de fournir aux décideurs publics et privés des outils concrets pour éclairer la prise de décision stratégique, à l’heure où les systèmes deviennent toujours plus complexes et interconnectés.
Mes missions s’articulent autour de trois axes :
Ainsi, je m’efforce de bâtir des passerelles entre la recherche et l’action, afin que l’innovation technologique serve pleinement l’intérêt général. Mon ambition est d’accompagner la transformation publique en outillant ses acteurs, en éclairant les choix stratégiques et en favorisant une culture de l’intelligence collective face aux défis de l’ère numérique. Parce que former, transmettre et partager sont les leviers essentiels pour faire de l’IA un véritable moteur de progrès au service de tous.
Le service public incarne la poursuite de l’intérêt général et la recherche de l’équité sociale. Il s’agit d’un secteur où chaque action vise à garantir l’accès de tous aux droits fondamentaux, à réduire les inégalités et à promouvoir la solidarité. Travailler dans le service public, c’est s’engager concrètement pour la cohésion sociale et la confiance collective : cela signifie œuvrer chaque jour pour que chacun, quelle que soit sa situation, puisse bénéficier des mêmes opportunités et d’un accompagnement de qualité.
Le service public incarne la poursuite de l’intérêt général et la recherche de l’équité sociale.
Dans ce contexte, l’intégration de l’IA doit être guidée par une exigence éthique : il s’agit de mettre la technologie au service des citoyens, en veillant à ce qu’elle facilite l’accès aux services publics, améliore leur efficacité et renforce la transparence des décisions. Le service public a ainsi la responsabilité de garantir que ces avancées profitent à tous, sans exclusion, et contribuent à la qualité du lien social, à la confiance dans les institutions et à la construction d’une société plus juste et inclusive. Cet engagement est d’autant plus essentiel à l’heure des grandes transitions numériques, où le risque de fracture sociale est réel. Faire le choix du service public, c’est donc choisir d’être acteur de ces transformations, en plaçant l’humain et l’intérêt général au cœur de chaque innovation.
L’IA soulève plusieurs défis majeurs pour le service public :
Face à ces défis, le service public a l’opportunité de devenir un véritable laboratoire d’innovation éthique et inclusive, capable de conjuguer excellence technologique et valeurs républicaines. C’est en relevant ces défis avec ambition et lucidité que le service public pourra pleinement jouer son rôle de moteur du progrès social et démocratique à l’ère numérique.
L’intelligence artificielle peut devenir un véritable atout pour le service public, si elle reste un outil au service de l’humain. La Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) en donne un bon exemple avec une IA capable d’analyser en quelques secondes les retours d’expérience déposés sur la plateforme Services Publics. Résultat : les agents gagnent du temps, les priorités des usagers sont mieux identifiées, et les pistes d’amélioration plus ciblées. Cette technologie libère du temps pour l’écoute et l’accompagnement, tout en renforçant la qualité du service rendu. Mais son déploiement exige vigilance : transparence des algorithmes, gestion des biais et protection des données doivent rester au cœur des usages. D’où l’importance d’une approche éthique, partagée entre agents, usagers et experts.
La création et le pilotage d’un laboratoire dédié aux transitions numériques sont une grande fierté, car ce projet dépasse le cadre de la recherche théorique. Véritable espace d’expérimentation, il réunit divers acteurs autour de solutions concrètes pour répondre aux enjeux du service public contemporain. Ce dialogue inédit croise les expertises, fait émerger les besoins du terrain et permet d’analyser en profondeur l’impact de l’IA dans les environnements publics : transformation des métiers, évolution des compétences, adaptation des processus, accompagnement des agents. L’attention portée à l’éthique assure que chaque projet respecte les valeurs fondamentales du service public. Fondé sur des observations de terrain, des ateliers collaboratifs et des expérimentations concrètes, ce laboratoire permet une évaluation rigoureuse des transformations et facilite l’appropriation des innovations. Il devient ainsi un levier clé de la modernisation de l’action publique, au service de l’intérêt général.
Pour approfondir le rôle de l’intelligence artificielle dans le service public, on peut citer le rapport du Sénat « IA, territoires et proximité » (n° 342, 2024-2025), déposé le 13 février 2025 par la délégation à la prospective. Ce rapport explore comment l’IA peut améliorer l’efficacité des services publics locaux à travers des exemples concrets : optimisation administrative, maintenance prédictive, gestion du trafic urbain. Il aborde aussi les enjeux d’équité, de gouvernance, de souveraineté technologique et de formation des agents. Dix recommandations sont proposées pour une intégration responsable de l’IA dans les collectivités. Disponible sur le site du Sénat, ce document est une ressource clé pour comprendre les enjeux et bonnes pratiques de l’IA dans le secteur public.
Pour les jeunes qui souhaitent s’orienter vers le service public, mon principal conseil est de cultiver la curiosité intellectuelle et l’esprit critique, notamment face aux technologies émergentes comme l’intelligence artificielle. Le secteur a besoin de profils capables de comprendre les enjeux techniques tout en anticipant leurs impacts sociaux, éthiques et organisationnels.
Formez-vous à l’interdisciplinarité : croisez sciences humaines, droit, économie, gestion et numérique. Cette diversité vous aidera à mieux saisir la complexité des défis publics et à proposer des solutions pertinentes. Engagez-vous dans des projets à impact — stages, service civique, associations, concours — pour découvrir le terrain, affiner votre projet professionnel et renforcer votre sens des responsabilités. Et surtout, gardez en tête que l’innovation doit rester au service de l’intérêt général. Le service public, c’est garantir l’équité, renforcer la cohésion sociale et agir avec responsabilité. Osez questionner les usages technologiques et engagez-vous pour un progrès réellement partagé.
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