Aujourd’hui nous allons à la rencontre d’Emmanuelle Prouet et d’Anne Faure, cheffes de projet (respectivement au sein des départements “Travail, emploi et compétences” et “Développement durable et numérique”) au sein de France Stratégie. Elles sont deux des co-auteures du rapport “Travailler dans la fonction publique : le défi de l’attractivité” publié en décembre 2024.
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Nous sommes une institution autonome rattachée aux services du Premier Ministre. Nos programmes de travail émanent de commandes ministérielles (ou de l’Assemblée Nationale) et de sujets portés par nos équipes. Nous réalisons des études, des évaluations et des travaux de prospective notamment sur l’évolution des métiers, en lien avec le ministère du travail. Nous sommes organisés en 4 départements (“Économie”, “Travail, emploi et compétences”, “Développement durable et numérique”, “Société et politiques sociales”) auxquels s’ajoute la plateforme RSE, plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises. Cette structure favorise une approche collaborative et permet à nos chefs de projet de travailler sur des problématiques transversales.
En l’occurrence, cette étude est un projet porté en interne, mobilisant de façon transversale nos 4 départements. Il y a deux ans, nous avions travaillé sur la fabrique des politiques publiques à l’heure des transitions : écologique, numérique, sociale et démocratique (Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique). Avec ce rapport, nous avons souhaité poursuivre notre réflexion en nous posant la question des ressources humaines à mobiliser pour s’adapter à ces transitions et sortir d’une action publique organisée en silos.
Nous avons essayé d’identifier les défis structurels propres à la fonction publique.
En 2023, le débat public sur la crise d’attractivité de l’emploi public était principalement concentré sur les métiers de l’enseignement et du soin. Mais les acteurs alertaient déjà sur le fait que cette crise touchait plus largement la fonction publique, et ce, dans un contexte de tension généralisée sur le marché du travail. Ainsi, nous avons souhaité construire une approche comparative pour comprendre les particularités du secteur et identifier, au-delà des métiers, les défis structurels propres à la fonction publique.
On peut parler de crise d’attractivité de la fonction publique, car il ne s’agit pas seulement d’un phénomène conjoncturel ou lié au contexte économique. En y regardant de plus près, on constate qu’un décrochage s’opère depuis une quinzaine d’années entre les atouts et les contraintes perçues de la fonction publique. Il s’explique en partie par la sélectivité des concours, perçus comme ne valant “plus le coup” au regard des conditions de travail et des évolutions de carrière offertes. Ces difficultés se traduisent à la fois dans les recrutements mais aussi pour fidéliser les agents publics.
Si l’on ne modifie pas ces tendances, la situation risque de s’aggraver. D’une part, car les enjeux démographiques et le vieillissement des agents en poste supposent de nombreux départs à la retraite dans les prochaines années. D’autre part car la fonction publique peine à diversifier ses viviers, notamment à attirer suffisamment les jeunes diplômés.
Nous avons identifié des leviers qualitatifs, liés au sens, à l’image et à la façon dont la fonction publique est perçue par ses futurs viviers. Ces enjeux sont très liés à la perception plus ou moins objective des conditions effectives de travail au sein du secteur public. En complément de quoi nous avons identifié des enjeux liés à la carrière, à la rémunération et aux conditions de travail.
Il faut noter que parce que son image s’est progressivement dégradée, les inconvénients sont souvent amplifiés et les avantages minimisés dans la perception de la fonction publique par le grand public.
On note qu’il y a pour certains métiers et certains profils, une désaffection pour la garantie de l’emploi très liée au statut de la fonction publique. Cela s’explique par un désir de mobilité et d’évolution plus souple. Néanmoins, le statut offert par la fonction publique avec ses avantages demeure un critère important. Les travaux réalisés par les chercheurs mobilisés dans cette étude montrent que la carrière publique reste encore synonyme d’ascension sociale, notamment pour les femmes et les jeunes issus de milieux modestes.
La carrière publique reste un moyen d’ascension sociale.
Nous avons également relevé, des critiques concernant les concours, souvent perçus comme inadaptés aux métiers visés ou ne valorisant pas suffisamment l’expérience professionnelle acquise.
Le sens de l’intérêt général et le sentiment d’utilité sociale restent par ailleurs un motif de motivation pour se tourner vers les métiers publics. Mais sur ce terrain, la fonction publique est en concurrence avec les acteurs à but non lucratif et les entreprises privées qui sont fortement engagées dans des démarches de communication RSE. Si le sens est toujours au cœur de l’engagement public, il doit s’articuler avec des conditions de travail qui permettent aux agents de remplir leurs missions d’intérêt général. Pourtant à métier comparable les conflits éthiques sont plus forts dans la fonction publique que dans le secteur privé. Ce déséquilibre s’explique par le sentiment pour certaines professions de ne pas avoir les outils et les moyens matériels de faire correctement leur travail.
Enfin, l’organisation du temps de travail est un atout phare de la fonction publique qui offre souvent plus de souplesse que le secteur privé notamment car elle comptabilise moins de temps partiels subis. D’ailleurs, alors que l’on observe de nombreux rétropédalages concernant le télétravail du côté des entreprises, les accords signés dans la fonction publique offrent des garanties aux agents.
Ce que l’on observe de manière transversale aux trois versants et à l’ensemble des catégories de la fonction publique, ce sont des tensions sur les métiers publics en lien avec les politiques publiques prioritaires du gouvernement : enseignement, police… On voit dans les documents d’exécution budgétaire notamment que les ministères engagés sur ces politiques publiques ont du mal à atteindre leur plafond d’emploi. On remarque également des tensions de recrutement sur des métiers qui ne sont pas spécifiques à la fonction publique qui révèle une problématique de concurrence avec le secteur privé. C’est le cas des métiers du soin, du numérique, des métiers techniques et environnementaux et de certaines professions peu qualifiées comme celle d’agent d’entretien.
Les compétences numériques sont essentielles, transversales et particulièrement en tension alors qu’elles vont croître.
Les métiers du numérique sont à la confluence de toutes ces difficultés. A l’image des compétences environnementales, les compétences numériques sont essentielles, transversales, elles vont croître et pourtant elles s’illustrent par des difficultés de recrutement de plus en plus importantes, notamment sur des compétences rares, avec une très forte concurrence du secteur privé. Pour répondre aux besoins, le numérique à lui seul devrait représenter 2 500 recrutements chaque année dans la fonction publique. C’est un enjeu de taille. De plus, alors que ces dernières années beaucoup de ces fonctions avaient été externalisées, on observe aujourd’hui que ces fonctions sont réinternalisées, dans le secteur public comme dans le secteur privé. On note également qu’il est difficile pour les employeurs publics de se mettre à niveau sur la rémunération de ces métiers par rapport au secteur privé.
Recruter le volume nécessaire de profils numériques afin de répondre aux enjeux stratégiques de maîtrise et de modernisation de nos outils au sein de l’Etat est l’un des défis majeurs mis en lumière dans ce rapport.
La très grande majorité des métiers de la fonction publique sont structurels et vont perdurer. Le défi s’articule davantage sur l’adaptabilité et la montée en compétence nécessaire de ces fonctions existantes. Les transitions numériques et environnementales impactent tous les métiers. Elles nécessitent des compétences techniques mais impliquent également du management de projet, une bonne compréhension des enjeux liés à la sécurité des données, la prise en compte des démarches de participation citoyenne, la maîtrise des conflits d’usage… On constate aussi que les tensions avec les usagers sont de plus en plus fortes dans la fonction publique. En découle de fait des enjeux de formation pour mieux appréhender ces enjeux dans son quotidien métier.