François Kohler, est directeur de la communication au sein du Ministère de la Justice. Nous sommes allés à sa rencontre pour vous faire découvrir son parcours et sa vision du service public.
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J’ai commencé mon parcours en tant qu’attaché de presse, puis chef du bureau de presse à l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). J’ai ensuite rejoint Veolia Environnement, puis j’ai travaillé pendant 10 ans au sein d’une agence de communication et de publicité au service de grands comptes publics. C’est donc là, dans le secteur privé, que j’ai commencé à appréhender pleinement les enjeux et le rôle de la communication publique. Le deuxième moment fort, a été ma prise de poste en tant que directeur de la communication au sein du Conseil d’État. Ce fut une expérience absolument passionnante, comme celle que j’ai vécue ensuite pendant trois ans au sein de l’ARS Ile-de-France. Et je ne peux pas dire autre chose que le troisième grand moment est celui que je vis actuellement, avec la mise en place de la nouvelle direction de la communication au sein du Ministère de la Justice.
Le cœur de ma mission de communicant : passer d’une logique de diffuseur à une logique de destinataires. Aujourd’hui l’essentiel des efforts et des actions de communication est fait dans une logique d’animation de réseaux, de pilotage de projets, de stratégies de contenus… Mais finalement nous n’attribuons sans doute pas suffisamment d’intérêt, d’intelligence, de moyens et d’énergie pour répondre aux citoyens et aux justiciables. L’opinion est très largement distante vis-à-vis de la justice, très critique sur ses lenteurs, et elle a le sentiment qu’elle est inaccessible. C’est pourquoi notre feuille de route vise à apporter plus de réponses aux besoins d’informations sur la justice et son fonctionnement, à renforcer la lisibilité du service public de la justice et à développer une communication plus pédagogique. Il n’y a pas d’accès au droit sans accès à l’information !
Nous avons lancé l’année dernière une campagne visant à mieux valoriser la chaîne de valeur des différents métiers, activités et missions de la justice. Notre démarche vise à dire que, quelles que soient les missions que l’on occupe au sein du ministère de la Justice, on est au service du justiciable et au cœur de la valeur « justice ». Nous en sommes fiers car, pour la première fois, nous avons travaillé sur une marque employeur permettant de mettre en lumière les singularités et les points communs de tous nos métiers, « au cœur de la justice ». Notre image est complètement embarquée par le pénal et les grandes affaires médiatiques, mais notre enjeu est de faire connaître le quotidien de la justice qui se situe davantage du côté du civil, des affaires familiales et de la justice de proximité, de la justice commerciale…
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Nous faisons face à plusieurs idées reçues. Disons qu’en tant qu’employeur, l’une de nos difficultés c’est sans doute celle de valoriser le métier de surveillant pénitentiaire. C’est un métier qui est difficile, en tension, dans le sens où nous manquons de candidats aux concours. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours réalisé des campagnes de promotion pour ce métier. Mais ce qui est innovant dans la démarche préalablement citée, c’est de ne créer qu’une seule marque employeur pour l’ensemble du ministère et de ses métiers. Dire que le magistrat et le surveillant pénitentiaire sont tous les deux « au cœur de la justice » et que leurs métiers sont tout aussi nobles, c’est un message fort. L’autre axe qui me semble important c’est de parler vrai.
Dans le recrutement il faut parler vrai, c’est d’autant plus important que si vous recrutez des talents sur des fausses promesses, ils ne resteront pas.
Nos campagnes n’occultent pas les réalités et les difficultés qui existent. Je suis convaincu qu’un des grands enjeux de la communication publique, c’est de parler vrai en s’adressant à des citoyens qui sont intelligents. Dans le recrutement c’est d’autant plus important que si vous recrutez des talents sur des fausses promesses, ils ne resteront pas.
Je ne viens pas du tout d’un milieu avec une culture “service public”. Je viens plutôt du monde des professions libérales et du business. Et pourtant, j’ai toujours travaillé pour le service public. C’est un secteur qui m’a toujours intéressé. C’est une conviction de citoyen, au plus profond de moi : je suis plus que persuadé que c’est la régulation qui fait que le système tient, marche, qu’il peut viser à être plus égalitaire. Je suis persuadé qu’il n’y a pas mieux que le droit pour résoudre les conflits. Et je crois bien sûr aux missions du service public, la crise a montré s’il le fallait leur utilité et leur capacité à tenir. Je n’ai pas pour autant une lecture naïve du service public, j’en mesure les points de faiblesse mais je crois utile de dire que le service public est d’autant plus légitime que ses acteurs, ministères ou collectivités locales, sont en capacité de se transformer.
Je crois utile de dire que le service public est d’autant plus légitime que ses acteurs, ministères ou collectivités locales, sont en capacité de se transformer.
Il n’y a rien de pire que « le fonctionnaire qui fonctionne ». Le fonctionnaire n’est pas là pour fonctionner mais pour agir, faire et transformer. Et c’est pour ça qu’il n’y a pas plus passionnant que les postes que nous occupons, nous agents publics, car nous pouvons transformer et agir sur le quotidien des gens.
La crise a mis un grands coup d’accélérateur à la transformation publique. Si le service public souffre parfois d’une image biaisée, on ne peut pas dire pour autant que toutes les organisations publiques sont agiles. Si aujourd’hui le télétravail est adopté, ce n’était pas le cas, pour beaucoup d’entre elles, lors du premier confinement. En revanche, en 6 mois, nous nous sommes transformés. Cela révèle une capacité extraordinaire à nous adapter mais cela veut aussi dire que nous étions en retard. Clairement, nous ne pouvons pas nous ranger dans la case des “early adopter”, ceux qui adoptent en premier les tendances et les comportements les plus modernes.
Oui pour innover et faire bouger les lignes dans nos organisations, mais il faut le faire avec la réalité du secteur public.
A mon sens, un des enjeux désormais c’est de faire attention à ne pas imiter le secteur privé. Oui pour innover et faire bouger les lignes dans nos organisations, oui pour s’inspirer d’expériences qui marchent ailleurs, mais sans « copier-coller », car il faut le faire avec la réalité du secteur public, sa culture, ses contraintes et ses ressorts propres.
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Le premier : « saisir toutes les opportunités ». Après huit ans à l’Insee, je voulais « à tout prix » avoir une expérience dans le privé. J’ai fait face, à ce moment-là, aux a priori sur le fonctionnaire “plan-plan”, une image pourtant très éloigné des réalités du service de presse de l’Insee qui était très dynamique, engagé et performant. Mais le fait est que j’ai eu du mal à trouver un poste dans le privé. J’ai donc accepté un remplacement de congé maternité de 6 mois… à l’issue duquel j’ai été recruté par notre agence de communication ! Il ne faut pas hésiter à faire ses expériences, à bouger et à prendre des risques.
Le second : « soyez curieux de tous les métiers, de tous les secteurs ». Dans la communication, que je connais mieux que tout le reste, ce qui est formidable c’est de pouvoir aborder une multitude de politiques publiques. Quand on se plonge dans un nouveau sujet, on s’en passionne.
Le dernier : « toujours embaucher les meilleurs », en tout cas les meilleurs dans notre perception. Parce que ce sont eux qui font le poste. S’ils sont “trop capés” pour le poste comme on peut beaucoup l’entendre, alors ils vont transformer le poste. Bien sûr, le risque c’est qu’ils partent dans 6 mois, mais ils peuvent aussi vous avoir faits avancer de 2 ans durant ce court laps de temps ! On capitalise toujours sur le talent.
“Pourquoi le message ne passe plus” de Bernard Emsellem. Un livre très riche et très drôle qui s’interroge sur les raisons qui font qu’aujourd’hui ça ne passe plus avec les citoyens. Il y a un passage que j’aime beaucoup qui parle de notre façon systématique de vouloir “faire adhérer” : faire adhérer les citoyens, faire adhérer les usagers, faire adhérer les agents… L’auteur rétorque « mais faire adhérer, c’est un objectif de mollusque !”. L’objectif de la communication ce n’est pas de faire adhérer mais de faire avec les parties prenantes. C’est vrai pour toutes les politiques publiques.